Zoonoses : si le monde est à l’écoute, nous pouvons changer radicalement les choses !

Nigel Swift - directeur de la Santé Publique Vétérinaire chez Boehringer Ingelheim

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I. Des vaccins contre un grand nombre de zoonoses

Le 6 juillet marque l'anniversaire de la première utilisation d’un vaccin contre la rage par Louis Pasteur pour immuniser avec succès Joseph Meister, un jeune garçon âgé de 9 ans qui avait été mordu par un chien. La rage est une maladie zoonotique, c’est-à-dire une maladie qui peut être transmise entre animaux et humains, et cet acte réalisé il y a 135 ans a constitué une percée majeure, ouvrant la voie à de nombreux autres vaccins contre des zoonoses. La visite de la ville d’Arbois en France, non loin de Lyon, et du simple laboratoire dans lequel travaillait Pasteur, m’a rappelé que tout n’est pas une question de haute technologie : une personne intelligente qui observe, cherche à comprendre et agit sur la base de ses connaissances scientifiques, peut changer radicalement les choses si le monde veut bien l’écouter.

Depuis l'acte de Pasteur en 1885, le monde a vu et développé des vaccins contre un grand nombre de zoonoses, même si certaines restent problématiques. Nous avons des vaccins contre la grippe, la fièvre jaune, la fièvre du Nil, la leptospirose et, plus récemment, la maladie à Ebola. Et la course est engagée pour développer un vaccin contre la Covid-19, dont l’origine semble être une chauve-souris.

Bien sûr, agir sur la base de nos connaissances scientifiques ne peut pas être considéré comme acquis. Il est frustrant de penser qu’en cette année de 135e anniversaire, avec toutes les connaissances et les outils dont nous disposons, plus de 50 000 personnes mourront de la rage, essentiellement dans les pays en voie de développement d’Asie et d’Afrique. Nous savons que 99 % des cas de rage chez l’Homme sont dus à des morsures de chien et nous savons qu’en vaccinant 70 % de l’ensemble des chiens, nous pouvons éviter ces 50 000 décès, et pourtant nous n’y sommes pas encore. Je lève mon chapeau à l'Alliance mondiale pour le contrôle de la rage, la GARC, et à ceux qui continuent de soumettre ce sujet aux gouvernements nationaux et de mener campagne en faveur de la vaccination des chiens. Environ 1,5 milliards de dollars sont dépensés chaque année dans les hôpitaux pour traiter des personnes à la suite d’une exposition possible à la rage, et pourtant moins d'un quart de cette somme est consacré chaque année à la vaccination des chiens, qui pourrait éviter la maladie.

II. La Covid-19 a mobilisé l’attention sur les zoonoses

Comment se fait-il qu’un virus puisse se transmettre d’une chauve-souris, peut-être à un pangolin, puis à un individu, et être à l’origine d’une telle destruction ? Nous créons à travers le monde les conditions pour que cela se produise de plus en plus fréquemment, et nous devons changer de comportement. On pense que près de 75 % des maladies infectieuses humaines ont pour origine une autre espèce. Les zoonoses sont souvent influencées par les circonstances, qui facilitent la transmission répétée d'infections de la faune sauvage à l’homme. Les virus sont opportunistes. Ils ne cherchent pas une autre espèce. Mais pour les virus à ARN en particulier, qui se propagent par les aérosols (comme la Covid-19), des occasions se présentent. Du fait de leur mutation rapide, ils saisissent souvent l’opportunité d’exploiter une nouvelle espèce. Ainsi, plus nous sommes en contact avec la faune sauvage, plus nos contacts sont longs et étroits, et plus nous augmentons la probabilité que cela se produise. La propagation du VIH dans la population humaine locale est le résultat de la chasse aux chimpanzés ; son établissement et sa propagation ont été accélérés par les routes, l’empiètement urbain sur les habitats naturels et la mobilité.

Le virus Nipah a causé de nombreux décès parmi les éleveurs de porcs en Malaisie à la suite de l'intensification des élevages porcins dans une région forestière avec de nombreux manguiers attirant les chauve-souris frugivores. Le fait d'amener les deux espèces en contact étroit et prolongé a facilité le saut du virus des chauves-souris aux porcs et à l’Homme. Lorsque des espaces naturels sont défrichés pour les besoins de l'agriculture, comme c’est le cas de vastes étendues en Amazonie pour l’élevage bovin, les hommes et les animaux domestiques empiètent sur ces espaces et nous créons des conditions propices au déferlement des virus. La déforestation accentue le changement climatique, qui à son tour favorise la propagation des maladies existantes, avec le déplacement de vecteurs comme les moustiques vers des régions qui se réchauffent, amenant avec eux le virus du Nil occidental, le virus de la fièvre de la Vallée du Rift, le virus Zika et d'autres.

L’un des pires exemples de ce phénomène est peut-être le commerce de la faune sauvage et les marchés d'animaux vivants ; 90 % de la « viande de brousse » ne sont pas destinés à la simple subsistance, mais vendus dans le cadre du commerce illégal d'espèces sauvages. Ces animaux terminent souvent dans des marchés où des espèces provenant du monde entier convergent dans des cages empilées les unes sur les autres, stressés, inspectés de près par des acheteurs potentiels, puis retransportés ou abattus. La « soupe virale » qui se forme dans ces environnements est le contexte idéal pour une nouvelle zoonose. C’est l’un des moyens avancés pour expliquer l’émergence de la Covid-19 à Wuhan, en Chine. La Chine a promis de mettre fin à ces marchés après le SRAS, et l'a de nouveau promis depuis la Covid-19. Cette fermeture, ainsi que l'application des lois existantes sur le commerce des animaux sauvages, sont des étapes essentielles pour éviter que l’histoire se répète.

III. La majeure partie de ce qui est nécessaire pour limiter les nouvelles zoonoses correspond à ce qui est nécessaire pour lutter contre le changement climatique

Les sciences et les biotechnologies continueront de développer des solutions vaccinales. Celles-ci resteront un outil essentiel, mais elles ne seront pas la panacée : le VIH nous rappelle que nous ne trouverons pas toujours un vaccin. Il est vraiment temps d'appliquer ce que nous savons et de prendre des décisions mondiales pour contrôler la propagation des zoonoses. Utilisons les vaccins que nous avons pour contrôler les plus simples comme la rage. Nous devons mettre fin au commerce de la faune sauvage et fermer les marchés vivants qui le favorisent. Nous devons stopper l’expansion incessante des populations et l’empiètement sur les habitats naturels. Nous savons ce que nous devons faire. La majeure partie de ce qui est nécessaire pour limiter les nouvelles zoonoses est ce qui est nécessaire pour lutter contre le changement climatique : un mode de vie plus durable, la préservation des ressources naturelles et une plus grande attention portée à la science et aux faits qui se présentent à nous, indépendamment de nos politiques. Ce serait un hommage approprié au Dr Pasteur.