Influenza aviaire : la nécessité d’une prévention à la source

L’influenza aviaire est un virus zoonotique persistant et évolutif. Aujourd’hui répandu dans presque toutes les régions du monde, il affecte à la fois les populations d’oiseaux sauvages et les élevages de volaille. Nous avons interrogé Teshome Mebatsion, responsable de la recherche sur les maladies virales en santé animale chez Boehringer Ingelheim. Nous avons ainsi pu en apprendre plus sur les virus de l’influenza aviaire, les méthodes de prévention et les différents scénarios pour l’avenir.

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Teshome, vous vous consacrez à la recherche sur l’influenza aviaire depuis plus de vingt ans. En quoi cette maladie est-elle particulière ?

Teshome : L’influenza aviaire est particulière pour plusieurs raisons. Tout d’abord, il existe de nombreuses formes d’influenza aviaire. Nous observons des glissements et des cassures génétiques de façon constante, ce qui entraîne l’apparition de nouvelles souches de virus. En résumé, la nature crée de nouveaux virus de manière continue. Ceux-ci se propagent parmi les oiseaux aquatiques et sauvages. Les déplacements de ces oiseaux permettent ensuite à la maladie de se répandre à l’échelle mondiale. De plus, l’influenza aviaire ou grippe aviaire peut infecter une grande variété de mammifères, tels que les chats, les visons ou les phoques. Cela amplifie également la propagation du virus. 

Vous venez de dire que l’influenza aviaire se propage dans le monde entier depuis longtemps. En quoi la situation actuelle est-elle différente ?

Teshome : Dans le passé, une épidémie explosait, puis disparaissait. Le même cycle se répétait lors de la saison suivante. Aujourd’hui, le virus reste. Les clades dérivés des virus hautement pathogènes d’influenza aviaire H5 de la lignée A/goose/Guangdong/1/1996 en particulier ont des effets dévastateurs sur les oiseaux domestiques et sauvages. En Europe, cela devient un problème annuel. Plusieurs facteurs expliquent ce phénomène. Certaines mutations génétiques ont augmenté la capacité de réplication des virus, ce qui leur permet de se propager plus efficacement qu’avant. D’autres mutations ont également permis au virus d’infecter davantage d’espèces d’oiseaux en comparaison avec les souches précédentes. Par conséquent, le virus peut désormais atteindre et être transmis par plus d’espèces, ce qui prolonge la durée de l’infection.

Les souches virales d’influenza aviaire sont classées en deux catégories : l’influenza aviaire faiblement pathogène (IAFP) et l’influenza aviaire hautement pathogène (IAHP). Devons-nous nous concentrer uniquement sur les formes hautement pathogènes ?

Teshome : La réponse courte est non. Il est indispensable de travailler sur toutes les formes pour contrôler l’influenza aviaire dans son ensemble. Les souches faiblement pathogènes entraînent une infection bénigne, tandis que la morbidité causée par les souches hautement pathogènes est très élevée. Néanmoins, certains sous-types faiblement pathogènes, comme le H9N2, peuvent entraîner des pertes considérables pour l’industrie avicole en raison d’une baisse de la production d’œufs et d’un taux d’éclosion faible. Certains segments génétiques de l’influenza aviaire faiblement pathogène peuvent aussi conduire à la génération de nouvelles souches hautement pathogènes. 

Les épidémies sont dévastatrices pour les producteurs de volailles, ce qui nous amène à la question suivante : comment prévenir les épidémies d’influenza aviaire ? 

Teshome : Des mesures de sécurité strictes et de bonnes pratiques en matière d’hygiène sont essentielles pour prévenir les épidémies d’influenza aviaire. Cependant, ces mesures ne suffisent plus à prévenir les épidémies. La maladie est en effet devenue endémique dans de nombreuses régions. Cette situation nécessite la mise en place de mesures de contrôle supplémentaires, comme la vaccination. Plusieurs pays s’intéressent à cette question et sont prêts à envisager la vaccination en tant que mesure supplémentaire pour prévenir l’influenza aviaire.

Comment la vaccination limite-t-elle les effets de l’influenza aviaire ?

Teshome : Nous devons adopter une stratégie globale de contrôle de la maladie. La vaccination seule est insuffisante. Les mesures de biosécurité sont indispensables. Elles comprennent le contrôle des déplacements des oiseaux ainsi que l’éloignement des oiseaux sauvages et des rongeurs des élevages de volailles. Nous pouvons également vacciner les volailles. En effet, la vaccination permet non seulement d’entraver la transmission du virus, mais aussi de réduire l’ampleur de l’épidémie. Les répercussions sur le bien-être animal et la durabilité sont ainsi limitées. 

Lorsqu’un oiseau est infecté par l’influenza aviaire, est-il possible de traiter la maladie ?

Teshome : L’influenza aviaire hautement pathogène est une maladie virale sévère pour laquelle aucun traitement n’existe. Chez l’homme, des antiviraux peuvent être utilisés, mais cela s’avère généralement impossible chez les volailles. Une fois que les oiseaux présentent des signes cliniques, il n’y a aucun traitement. 

Verbatim Teshome Mebatsion

Depuis que nous sommes confrontés à l’influenza aviaire, nous avons découvert qu’il existe de nombreux sous-types de virus et que les souches et clades viraux évoluent constamment. Qu’est-ce que cela implique pour les vaccins actuels et le développement de nouveaux vaccins ?

Teshome : Une souche d’influenza est une variante génétique ou un sous-type du virus influenza. Un clade ou un groupe d’influenzas est une sous-division de virus influenza, au-delà des sous-types ou des lignées, en fonction de la similitude de leurs séquences génétiques d’hémagglutinine. L’une des façons dont les virus influenza se modifient est appelée « glissement antigénique ». Un glissement se définit comme de petites modifications ou mutations des gènes des virus influenza, qui peuvent entraîner des modifications des protéines de surfaces des virus. Les virus se modifient également par « cassure antigénique ». Une cassure correspond à un changement brusque et majeur du virus, qui donne naissance à de nouveaux virus susceptibles d’infecter l’homme ou d’autres animaux. Par conséquent, qu’il s’agisse de glissements ou de cassures, cette évolution génétique constante constitue le plus grand défi pour le développement des vaccins. Dans le domaine de la vaccinologie contre l’influenza aviaire, la quête suprême consiste donc à développer un « vaccin universel » efficace contre une grande variété de sous-types et de souches viraux. Des stratégies innovantes et des plateformes vaccinales améliorées sont actuellement à l’étude.

L’influenza aviaire est une zoonose, ce qui signifie qu’elle peut aussi infecter les mammifères tels que les cochons, les chats, les chiens, voire les hommes. Quelle est la fréquence de ces infections et quelle peut être leur gravité ? 

Teshome : Les autorités du monde entier sont de plus en plus préoccupées. La bonne nouvelle, c’est que la plupart des virus influenza qui circulent chez les oiseaux ne sont pas zoonotiques. Cependant, certaines souches d’IAHP peuvent infecter divers mammifères, y compris l’homme, ce qui peut constituer une menace pour la population. Étant donné que la maladie est de plus en plus endémique, le nombre d’espèces exposées augmente. Toutefois, on observe peu d’infections chez l’homme à l’heure actuelle.

Pensez-vous que le nombre d’épidémies de grande ampleur diminuera dans les années à venir ?

Teshome : Que nous le voulions ou non, l’influenza aviaire perdurera. Je suis toutefois relativement optimiste quant à l’avenir, car la vaccination nous offre une mesure de contrôle supplémentaire. Elle aura non seulement un effet positif sur les taux de mortalité, mais réduira également l’ampleur des épidémies en entravant la transmission des virus. En outre, l’ouverture à la vaccination stimule la poursuite des recherches dans ce domaine. Les gouvernements, les autorités et les entreprises continueront d’investir en faveur de l’innovation pour trouver des vaccins plus efficaces, avec des spectres plus larges.

Teshome Mebatsion est vétérinaire. Il est titulaire d’un doctorat en virologie moléculaire de l’université de Giessen en Allemagne. Il travaille actuellement à Lyon pour Boehringer Ingelheim en tant que responsable de la recherche sur les maladies virales en santé animale, dans le secteur de l’innovation au niveau mondial. Fort de plus de 25 ans d’expérience en recherche sur les vaccins en santé animale, sa carrière s’étend des sphères académiques aux sphères commerciales. Il fait partie des leaders reconnus dans le domaine technologique des vaccins recombinants. Ses recherches translationnelles ont notamment abouti à des vaccins destinés aux animaux approuvés par le CVB (USDA) et l’EMA, à de nombreuses publications scientifiques et à plus d’une douzaine de brevets. 

FR-POU-0019-2024 - Boehringer Ingelheim Animal Health France SCS – 05/2024