One Health : une route encore longue, mais une volonté forte

Salle comble pour la 3ème conférence du programme « Une seule santé » organisé par le groupe 1Health et L’Obs : une série de quatre colloques ouverts aux professionnels de santé et au grand public, afin de faire connaître et mettre en place des actions concrètes au service d’une santé globale. Partenaire de ce programme, Boehringer Ingelheim attachait une importance toute particulière à cette conférence qui s’est tenue à Lyon le 27 septembre, dans cette ville territoire de santé et d’excellence scientifique.

Conférence 1Health

Marine Neveux, groupe 1Health, Jean-Christophe Audonnet, responsable coordination du projet ZAPI , Frédérique Ponce, VetAgro Sup, Jean-Louis Hunault, SIMV

« La pandémie nous rappelle que l’humanité et la planète entretiennent une relation intime et délicate. Tous les efforts déployés pour rendre notre monde plus sûr sont voués à l’échec s’ils ne portent pas sur l’interface cruciale entre l’être humain et les agents pathogènes et sur la menace existentielle des changements climatiques, qui rendent notre planète moins habitable ». C’est par ces mots du Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, Directeur Général de l’OMS, que Céline de Laurens, adjointe au Maire de Lyon, chargée de la santé, de la prévention et de la santé environnementale, a ouvert cette conférence, montrant ainsi l’engagement et la prise de conscience des responsables politiques sur le sujet.

Pour Jean-Christophe Audonnet, vétérinaire et responsable de la coordination du projet ZAPI1, « le « One Health » existe depuis longtemps. Loin d’être un concept, ce lien entre médecine humaine, animale et environnementale s’est manifesté à de nombreuses reprises en faveur de la santé des humains. La découverte des vaccins contre la variole, la rage ou encore l’utilisation de la sérothérapie, notamment pendant la grande guerre, en sont des exemples ».

Si le « One Health » s’inscrivait encore récemment dans une ambition aux contours mal définis, la crise de la COVID a été un déclencheur cruel et une traduction très concrète de la relation entre l’environnement et la transmission d’éléments pathogènes aux humains et a pointé la nécessité d’un savoir partagé.

Le « One Health » rassemble désormais, mais il reste à construire. Une construction qui passera par un travail commun de tous les acteurs : médecins, vétérinaires, cancérologues, écologistes, philosophes, sociologues, épidémiologistes, politiques… pour agir à tous les niveaux.

La médecine humanitaire l’a bien compris, en intégrant déjà l’environnement et les conditions de vie dans l’approche des maladies. Selon Jean-Christophe Ruffin, académicien et médecin, « Rien ne sert de soigner les diarrhées dans un camp de réfugiés si un niveau correct d’hygiène et de gestion des déchets n’est pas maintenu ».

A problème mondial, réponse mondiale

Pour Bruno Lina, professeur de virologie au CHU de Lyon, membre du conseil scientifique et du récent COVARS (Comité de Veille et d’Anticipation des Risques Sanitaires), nous vivons sans conteste une accélération des émergences virales, dans un écosystème dégradé favorisant la transmission par des hôtes intermédiaires. Le problème n’est pas inéluctable. Toutefois, à problème mondial, réponse mondiale, holistique, multisectorielle et durable indispensable. « Or nous souffrons encore du « syndrome de la Tour de Babel », alors qu’il nous faut déployer rapidement un programme commun holistique, rassemblant tous les secteurs, et agissant à la fois sur la recherche, une stratégie de contrôle et l’enseignement. Seules une dynamique de pensée très large et une veille commune sur les pathogènes qui circulent nous aideront à comprendre les mécanismes de ces transmissions ».

Contrer les risques infectieux est le défi auquel nous sommes confrontés. « Pas si simple », souligne le Dr Audonnet, pour qui les virus n’arrivent jamais là, où et quand on les attend… « Mais si nous ne pouvons pas prédire, nous pouvons anticiper ». Le projet ZAPI, programme collaboratif européen, a ainsi permis d’accélérer la mise à disposition d’outils de lutte contre les nouvelles zoonoses.

La médecine comparée est un élément clé. 20 000 gènes sont communs à tous les mammifères. En comparant les différentes espèces, nous pouvons apprendre beaucoup plus vite, mieux comprendre et mieux soigner les cancers de l’homme et des animaux. C’est le credo de Frédérique Ponce, professeure en cancérologie comparée à VetAgro Sup – Université de Lyon, qui cite en exemple les cancers des ganglions qui ont bénéficié d’une avancée rapide grâce à une preuve de concept validée sur le chien. « Véritable sentinelle de notre environnement, le chien va pouvoir alerter, en développant en quelques semaines des maladies superposables à l’homme, alors que ces maladies mettront parfois 5 ans pour se développer sur l’humain. En retour, le travail sur l’homme bénéficie à l’animal, car tester une molécule développée pour l’homme nous permet aussi de soigner le chien »…

Fabrice Vavre, directeur de recherche au CNRS, Université de Lyon 1, travaille sur un projet, SHAPE-Med@Lyon, visant au rapprochement d’une médecine « One Health » et d’une médecine personnalisée. Axé sur 4 ateliers (maladies infectieuses, oncologie, santé mentale, santé et territoires), ce projet est ouvert à une large communauté réunissant praticiens hospitaliers et vétérinaires, infectiologues, immunologistes, écologistes, évolutionnistes, mais aussi aux sciences humaines et sociales couvrant la santé humaine, animale et végétale. Parmi les éléments mis à disposition des recherches engagées figure une série de plateformes qui permettent d’aborder le mécanisme des transmissions et l'étude de systèmes infectieux depuis leur environnement naturel jusqu'à l'analyse des mécanismes moléculaires et cellulaires des infections.

Nous avons des atouts en France avec un écosystème public, académique et privé riche. Jean-Louis Hunault, président du SIMV (Syndicat de l’Industrie du Médicament et diagnostic Vétérinaires) l’a rappelé : « L’industrie vétérinaire a des capacités de réponse, notamment en matière de vaccins. La fièvre catarrhale ovine a été éradiquée en deux ans… Mais le maillage vétérinaire est sous-utilisé. Faut-il rappeler la sous-mobilisation des vétérinaires lors de la crise COVID alors que ceux-ci sont capables de dispenser 54 millions d’injections chaque année ? Les passerelles se mettent en place. L’ANSES est la première agence « One Health » en Europe ».

Mobilisation également chez les acteurs académiques et politiques. La création du master Cancérologie, cohabilité par l’Université Claude Bernard Lyon 1 et VetAgro Sup en est une preuve. Le projet plan d’investissement avenir 2021 en est une autre, en favorisant l’émergence de solutions appuyées sur des approches scientifiques pluridisciplinaires. Enfin, la création d’un Master 2 international « One Health » à Lyon, favorisant une approche globale des problématiques permettra aux futurs « Onehealthologues » de bénéficier d’une vision plus globale de la santé de demain.

Amandine Gauthier (Ecole Nationale des Services Vétérinaires - VetAgro Sup) défend ardemment l’idée d’une santé publique commune, en créant au sein de l’école vétérinaire une série de diplômes destinés à susciter des échanges entre médecins, vétérinaires, ingénieurs agronomes, écologues... « Le manque de dialogue entre les disciplines est évident. Et nous ne pourrons pas gérer les futures crises sanitaires si toutes les expertises ne sont pas associées ». L’école propose régulièrement des sessions de travail, simulations d’épidémies graves pour favoriser le dialogue entre les professionnels des trois santés.

Inclure les citoyens dans la démarche

Selon Thibaud Porphyre, épidémiologiste, titulaire de la chaire industrielle de recherche et formation en Santé Publique Vétérinaire de VetAgro Sup, nous devons mieux comprendre les résistances du grand public et leurs impacts sur l’évolution des maladies. « Eviter la cacophonie d’information, avoir le même discours pour acquérir la confiance du grand public et surtout inclure les citoyens dans la démarche. La formation a son importance pour adopter le même langage ».

Une notion partagée par Amandine Gauthier, chercheuse en science politique et en sociologie à VetAgro Sup, pour qui la crise de confiance vis-à-vis des politiques et la science est le résultat du manque d’une culture de santé publique. « La population ne fera pas un crédit aveugle aux institutions politiques : One Health est aussi l’occasion de discuter l’ordre des priorités et les valeurs des politiques de santé».

 

1Zoonoses Anticipation and Prepardness Initiative (Projet européen IMI 2015-2021)